Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/32

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tant d’autres. Il a un grand besoin d’aimer et une crédulité qui le font se jeter à la tête des gens ; et ce premier mouvement de sensibilité confiante est peu à peu suivi de sensibilité défiante ; car il trouve bientôt chacune de ses idoles inférieure à l’idée que son imagination s’en était formée ; ou bien son orgueil craint très vite que l’idole ne lui rende pas son affection ou même ne se moque de lui.)

Reprenons. C’est à cette vie errante dans un des plus beaux pays du monde, c’est à cette vie rêveuse et inquiète que Rousseau doit son intelligence et son amour de la nature, et d’avoir inventé, ou peu s’en faut, la poésie romantique. Ses Confessions sont pleines de souvenirs charmants de paysages, et en outre, au commencement du livre II, il parle déjà comme parlera René : «… J’étais inquiet, distrait, rêveur ; je pleurais, je soupirais, je désirais un bonheur dont je n’avais pas d’idée, et dont je sentais pourtant la privation… »

C’est ce chemineau qui écrira les paysages et les morceaux lyriques de la Nouvelle Héloïse, et les Rêveries d’un promeneur solitaire.

Ce que Jean-Jacques doit encore à ses années de bohème, c’est d’avoir vu de tout près les vies humbles ou modestes, — et aussi (car il a été deux fois laquais dans de grandes maisons) d’avoir connu et observé les vies brillantes dans des conditions qui ont déposé en lui une amertume dont il fera plus tard de l’éloquence. Sur cette souffrance