Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/33

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intime, il s’arrête peu, sans doute parce que ces souvenirs lui sont particulièrement pénibles, plus pénibles encore, sans doute, que le souvenir de ses actions honteuses : mais on devine ce que ce garçon orgueilleux et d’un si beau génie, d’ailleurs de naissance libre, petit-fils de libraires et de pasteurs, a dû ressentir sous la livrée, même quand « on le dispensait d’y porter l’aiguillette » et que cette livrée « faisait à peu près un habit bourgeois ». Mais il a beau vouloir se taire là-dessus, certains traits qui lui échappent révèlent sa rancoeur :

…Sur la fin, dit-il, madame de Vercellis ne me parlait plus que pour son service. Elle me jugea moins sur ce que j’étais que sur ce qu’elle m’avait fait, et à force de ne voir en moi qu’un laquais, elle m’empêcha de lui paraître autre chose… Je crois que j’éprouvai dès lors ce jeu malin des intérêts cachés qui m’a traversé toute ma vie et qui m’a donné une aversion naturelle pour l’ordre apparent qui le produit.

(Cela, parce que, comme il le dit plus loin, « il y avait tant d’empressés autour de madame de Vercellis proche de sa fin, qu’il était difficile qu’elle eût du temps pour penser à lui Jean-Jacques ».) Ainsi il en veut à toute la société que madame de Vercellis ne l’ait pas distingué davantage. — Ainsi encore, chez les Gouvon-Solar, lorsque, servant à table et interrogé par le vieux comte, il explique la devise des Solar (« Tel fiert qui ne tue pas »), et recueille l’admiration de la compagnie : « Ce moment fut court, mais délicieux