Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/344

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tive, croire qu’un mari, une femme, son ancien amant et une tendre amie de cet amant pourront vivre tranquillement ensemble sans avoir entre eux rien de caché, trois de ces personnages n’ayant d’ailleurs d’autre occupation que d’adorer, ménager et soigner l’amant, qui est Rousseau lui-même sous le nom de Saint-Preux ; — ou bien, parce qu’il se ressouvient vivement de la cordialité de quelque fête municipale dans sa petite république, et parce qu’un jour il a pleuré de tendresse de se sentir en communion civique avec ses chers Genevois retrouvés, croire que c’est assurer le bonheur et la liberté de l’homme que de le livrer tout entier à l’État ; — ou bien, dans sa vie même, parce qu’il aime la vertu, se croire vertueux, et, parce qu’il est sensible, se croire le meilleur des hommes, et le croire au point où il le croit ; — ou bien enfin, comme dans les Dialogues, croire que l’univers le persécute parce qu’il a rencontré quelques amis infidèles : tout cela, n’est-ce pas, en somme, la même opération de l’esprit, le même triomphe exorbitant de l’imagination et de la sensibilité sur la raison ? Et, si Rousseau peut être qualifié de dément dans le dernier des cas que j’ai énumérés, qui osera dire que, sauf le degré, il ne l’était pas aussi dans les autres ? Il l’était… oh ! mon Dieu, comme le seraient beaucoup d’hommes à nos yeux, si nous les connaissions, s’ils écrivaient des livres et si, parmi leur déraison, ils avaient quelque génie.

Joignez à cela les maladies de Rousseau, dont je