Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/343

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Sur quoi l’on se demande : — Comment peut-il être fou, et écrire en même temps des choses si parfaites, si émouvantes et si belles ? Je réponds : — C’est peut-être qu’au fond il l’a toujours été, — par intermittence, mais toujours de la même manière et à toutes les époques de sa vie.

En quoi consiste, en effet, la folie avérée de ses années déclinantes ? — Il est sensible, tendre, crédule. Il se jette à la tête d’un homme à qui il prête toutes les vertus et dont il croit être adoré. Puis il s’aperçoit que son nouvel ami est inférieur à l’image qu’il s’en formait, et aussi que cet ami aime moins qu’il n’est aimé. Douloureusement déçu, il se croit trahi ; et de cette prétendue trahison de quelques personnes, il conclut à une trahison universelle, à un vaste complot organisé contre lui. Déformation des choses par la sensibilité et généralisation hâtive, tel est le cas de Rousseau, flagrant surtout dans ses Dialogues.

Mais ne déforme-t-il pas la réalité de la même manière dans ses autres écrits ?

Croire la nature bonne parce qu’il se sent bon en suivant la nature, c’est-à-dire en faisant tout ce qui lui plaît ; croire la société mauvaise parce qu’il a souffert de la société, et conclure de tout cela que c’est la société qui a corrompu la nature ; — ou bien, parce qu’il aime la vertu surtout dans ses gestes exceptionnels, et parce qu’il n’a pas les sens jaloux, et qu’il n’a guère connu, de la passion, qu’une certaine langueur à la fois brûlante et inac-