Page:Lemaître - Jean-Jacques Rousseau, 1905.djvu/96

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tout d’un coup et a instantanément corrompu les mœurs, et il ne se demande même pas ce qu’étaient « les mœurs » auparavant. Il ne pense pas à distinguer entre les sciences et les arts, dont il semble pourtant que l’influence corruptrice ne saurait être tout à fait la même. Il ne s’avise pas non plus que la corruption par les sciences ou les arts ne peut guère être que la corruption d’un petit nombre, d’autant que, par « corruption », il paraît surtout entendre les conventions, préjugés et mensonges mondains, le luxe, la mollesse, la frivolité et les artifices de la vie de salon, bref les vices ou travers du monde très restreint où il vivait lui-même. Il ne s’avise pas que dix-huit millions de paysans ou d’artisans de France échappaient presque totalement à cette corruption-là, et que la petite bourgeoisie n’en était que modérément atteinte ; que d’ailleurs le mal et le bien s’entremêlent si inextricablement dans les effets attribuables aux arts et aux sciences qu’il est en tout cas impossible de les démêler ou de démontrer que le mal l’emporte. — Bref la thèse de Rousseau n’est qu’un vague lieu-commun, très fatigué déjà à cette époque, presque aussi fatigué que le lieu-commun de la thèse contraire.

Le lieu-commun de Rousseau (l’innocence de l’état de nature opposée aux vices de la civilisation) était déjà un peu partout (dans les Lettres Persanes par exemple, deuxième partie de l’Histoire des Troglodytes, ou dans Marivaux : L’Ile des