Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/285

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des instincts ou en sont tout proches, et les souffrances sont surtout des souffrances physiques : ainsi, quand Jeanlin a les jambes cassées, quand la petite Alzire meurt de faim, quand Catherine monte par le « goyot » les sept cents mètres d’échelles ou quand elle agonise dans la fosse aux bras d’Étienne, coudoyée par le cadavre de Chaval. On dira qu’il est facile de serrer le cœur ou mieux de pincer les nerfs à ce prix et que c’est là du plus grossier mélodrame. Croyez-vous ? Mais ces morts et ces tortures, c’est le drame même : M. Zola n’a pas eu l’intention de composer une tragédie psychologique. Et il y a là autre chose que la description de spectacles atroces : la pitié morose du romancier, sa compassion qu’un parti pris de philosophie pessimiste tourne en impassibilité cruelle — pour nous et pour lui. Il n’est pas de ceux pour qui la douleur morale est plus noble que la souffrance physique. En quoi plus noble, puisque nos sentiments sont aussi involontaires que nos sensations ? Et puis, soyons sincères, n’est-ce pas la souffrance du corps qui est la plus terrible ? et n’est-ce pas surtout par elle que le monde est mauvais ?

Et voici, pour ces holocaustes de chair, le bourreau et le dieu, deux « Bêtes ». Le bourreau, c’est la mine, la bête mangeuse d’hommes. Le dieu, c’est cet être mystérieux à qui appartient la mine et qui s’engraisse de la faim des mineurs ; c’est l’idole monstrueuse et invisible, accroupie quelque part, on ne sait où, comme un dieu Mithra dans son sanctuaire. Et tour à