Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/286

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tour, régulièrement, les deux bêtes sont évoquées, la bête qui tue, et l’autre, là-bas, celle qui fait tuer. Et nous entendons par intervalles « la respiration grosse et longue » de la bête qui tue (c’est le bruit de la pompe d’épuisement). Elle vit, elle vit si bien qu’à la fin elle meurt :

… Et l’on vit alors une effrayante chose ; on vit la machine, disloquée sur son massif, les membres écartelés, lutter contre la mort : elle marcha, elle détendit sa bielle, son genou de géante, comme pour se lever ; mais elle expirait, broyée, engloutie. Seule, la haute cheminée de trente mètres restait debout, secouée, pareille à un mât dans l’ouragan. On croyait qu’elle allait s’émietter et voler en poudre, lorsque tout d’un coup elle s’enfonça d’un bloc, bue par la terre, fondue ainsi qu’un cierge colossal, et rien ne dépassait, pas même la pointe du paratonnerre. C’était fini ; la bête mauvaise, accroupie dans ce creux, gorgée de chair humaine, ne soufflait plus son haleine grosse et longue. Tout entier, le Voreux venait de couler à l’abîme.

Et que d’autres évocations symboliques ! Le lambeau sanglant arraché par les femmes à Maigrat, c’est encore une bête méchante enfin écrasée sur qui l’on piétine et l’on crache. Le vieux Bonnemort, idiot, déformé, hideux, étranglant Cécile Grégoire, grasse, blonde et douce, c’est l’antique Faim irresponsable se jetant par un élan fatal sur l’irresponsable Oisiveté. Et à chaque instant, par des procédés franchement, naïvement étalés et auxquels on se laisse prendre