Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/309

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nature et que la mort dénoue. Quel amour ? Une force irrésistible, un désir fatal qui nous fait communier avec l’univers physique (car le désir est l’âme du monde) et qui conduit les amants, par l’inassouvissement à la tristesse, et, par la rage de s’assouvir, à la mort (Au bord de l’eau). L’auteur du Cas de Mme Luneau a débuté par des vers qui font songer à la poésie de Lucrèce et à la philosophie de Schopenhauer : et c’est bien en effet ce qu’il y a sous la plupart de ses contes.

Ainsi, au vieux et éternel fonds de gauloiserie on voit combien se sont ajoutés d’éléments nouveaux : l’observation de la réalité, et plus volontiers de la réalité plate ou violente ; au lieu de l’ancienne gaillardise, une sensualité profonde, élargie par le sentiment de la nature, mêlée souvent de tristesse et de poésie. Toutes ces choses ne se rencontrent pas à la fois dans tous les contes de M. de Maupassant : je donne l’impression d’ensemble. Au milieu de ses robustes gaîtés il a parfois, naturelle ou acquise, une vision pareille à celle de Flaubert ou de M. Zola ; il est atteint, lui aussi, de la plus récente maladie des écrivains, j’entends le pessimisme et la manie singulière de faire le monde très laid et très brutal, de le montrer gouverné par des instincts aveugles, d’éliminer presque par là la psychologie, la bonne vieille « étude du cœur humain », et en même temps de s’appliquer à rendre dans un détail et avec un relief où l’on n’ait pas encore atteint ce monde si peu