Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/310

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ressant en lui-même et qui ne l’est plus que comme matière d’art : en sorte que le plaisir de l’écrivain et de ceux qui le goûtent et qui entrent entièrement dans sa pensée n’est plus qu’ironie, orgueil, volupté égoïste. Nul souci de ce qu’on appelait l’idéal, nulle préoccupation de la morale, nulle sympathie pour les hommes, mais peut-être une pitié méprisante pour l’humanité ridicule et misérable ; en revanche, une science subtile à jouir du monde en tant qu’il tombe sous les sens et qu’il est propre à les délecter ; l’intérêt qu’on refuse aux choses accordé tout entier à l’art de les reproduire sous une forme aussi plastique qu’il se peut ; en somme, une attitude de dieu misanthrope, railleur et lascif. Plaisir étrange, proprement diabolique et où quelqu’un de Port-Royal — ou peut-être, dans un autre canton de la pensée, M. Barbey d’Aurevilly — reconnaîtrait un effet du péché originel, un legs du curieux et faible Adam, un présent du premier révolté. Je m’amuse à parler en idéaliste grognon, et il est probable que je force les traits rien qu’en les ramassant ; mais certainement cet orgueilleux et voluptueux pessimisme est au fond d’une grande partie de la littérature d’aujourd’hui. Or cette façon de voir et de sentir se rencontre peu dans les derniers siècles ; ce pessimisme de névropathes n’est guère chez nos classiques : comment donc ai-je dit que M. Guy de Maupassant en était un ?