Page:Lemaître - Les Contemporains, sér1, 1898.djvu/35

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sensible au beau extérieur et s’accorde exactement avec la théorie de « l’art pour l’art » ; et le plus singulier mérite de M. de Banville est peut-être d’avoir, entre tous les poètes, appliqué cette étroite théorie avec une rigueur absolue.

Essayons de voir clair dans cette fameuse formule. Comme elle est quelque peu équivoque, je n’ose dire inintelligible, on l’a réduite à cette autre : « L’art pour le beau. » Mais celle-ci à son tour est trop simple et trop large : il n’est presque point d’œuvre à laquelle elle ne convienne ; car il y a le beau de l’idée, celui du sentiment, celui de la sensation, et le beau de la forme, qui est intimement mêlé aux autres et qui n’en est séparable que par un difficile effort d’analyse. « L’art pour l’art », ce sera donc « l’art pour le beau plastique », sans plus. Et cette formule ainsi interprétée, il me paraît qu’aucun poète n’y a été plus fidèle que l’auteur des Exilés, non pas même le ciseleur d’Émaux et Camées.

On voit maintenant dans quel sens je disais que l’idée la plus persistante de M. de Banville a été de n’exprimer aucune idée dans ses vers. Je voulais dire qu’il n’en a jamais exprimé que de fort simples et de celles qui revêtent naturellement et qui appellent une forme toute concrète ; et c’est à multiplier et à embellir ces images, à les traduire elles-mêmes par des arrangements harmonieux de mots brillants, qu’a tendu tout son effort. Et l’on pourrait presque dire aussi qu’il n’a jamais exprimé de sentiments, sinon le senti-