Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/65

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    Il l’a vue. Il sourit dans la barbe du masque
    Et son pas plus hâtif fait reluire au soleil
    Les deux antennes d’or qui tremblent sur son casque.

Et, pour passer du joli au grandiose, ce sonnet si connu des Conquérants n’est-il pas large comme une épopée, et n’éveille-t-il pas une vision complète de la plus grande aventure des temps modernes ?

    Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
    Fatigués de porter leurs misères hautaines,
    De Palas de Moguer, routiers et capitaines
    Partaient ivres d’un rêve héroïque et brutal.

    Ils allaient conquérir le fabuleux métal
    Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
    Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
    Aux bords mystérieux du monde occidental.

    Chaque soir espérant des lendemains épiques,
    L’azur phosphorescent de la mer des Tropiques
    Enchantait leur sommeil d’un mirage doré ;

    Ou, penchés à l’avant des blanches caravelles,
    Ils regardaient monter dans un ciel ignoré
    Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles.

Et, prenez-y garde, pas un mot dans ces sonnets n’a été choisi ni placé au hasard. M. de Heredia possède, à un plus haut degré peut-être qu’aucun autre poète, le don de saisir, entre les images, les idées, les sentiments — et le son des mots, la musique des syllabes, de mystérieuses et sûres harmonies. Pour lui, évidemment, chaque sonnet a ses rimes nécessaires, les seules qui conviennent au sujet, et