Page:Lemaître - Les Contemporains, sér2, 1897.djvu/66

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qu’il s’agit de trouver. Lisez, par exemple, le sonnet du Vieil orfèvre :

    Mieux qu’aucun maître inscrit au livre de maîtrise,
    Qu’il ait nom Ruyz, Arphé, Ximeniz, Becerril,
    J’ai serti le rubis, la perle et le béryl,
    Tordu l’anse d’un vase et martelé sa frise.

    Dans l’argent, sur l’émail où le paillon s’irise,
    J’ai peint et j’ai sculpté, mettant l’âme en péril,
    Au lieu du Christ en croix ou du Saint sur le gril,
    Ô honte ! Bacchus ivre ou Danaé surprise.

    J’ai de plus d’un estoc damasquiné le fer
    Et, dans le vain orgueil de ces œuvres d’Enfer,
    Aventuré ma part de l’éternelle Vie.

    Aussi, voyant mon âge incliner vers le soir,
    Je veux, ainsi que fit Fray Juan de Ségovie,
    Mourir en ciselant dans l’or un ostensoir.

Croyez-vous qu’il soit possible de substituer, sans dommage pour le poème, d’autres rimes à celles-là ? Notez d’abord que plusieurs des mots qui sont à la rime sont des mots essentiels du vocabulaire de l’orfèvre et de l’armurier. Mais, en outre, on sent fort bien qu’une rime ouverte, en ère ou en ale si vous voulez, n’eût pas convenu ici, et que l’i devait dominer à la fin des vers, voyelle aiguë comme l’épée menue et fine comme les joyaux. Et sans doute la rime en rie (pierrerie, fleurie, orfèvrerie) n’eût point été malséante ; mais qui ne voit que la sifflante adoucie qui se joint à la voyelle affilée (frise, irise) fait rêver de ciselure, de pointe glissant sur un métal !