Page:Lemaître - Les Contemporains, sér6, 26e mille.djvu/31

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sistante, ce que nous ne sentons qu’à certaines minutes et mollement : le vide et l’inutilité de la vie d’un journaliste, ou d’un littérateur, ou d’un bourgeois, qui n’est que cela. Faire des besognes auxquelles on croit à moitié ou pas du tout ; écrire des livres où l’on ne met point son âme, mais seulement quelques conjectures ou spéculations sur la vie ; obtenir par là de petits succès ; cueillir en passant de petits plaisirs égoïstes ; vivre au jour le jour ; comprendre ça et là quelques petites choses, mais ignorer en somme ce que l’on est venu faire au monde ; vivre en se passant de la vérité ; vivre sans vouer sa vie à une cause aussi humaine et générale que possible ; c’est-à-dire vivre comme nous vivons presque tous… cela parut très vite misérable au jeune rédacteur en chef du Mémorial de Périgueux. Au temps même où il daubait les bourgeois libres-penseurs de Chignac, il lui arrivait de faire sur lui-même un loyal retour. C’est que le petit journaliste avait déjà une vie intérieure. « Ah ! s’écriait-il, je ris des reproches qu’ils peuvent me faire : mais j’évite de descendre en moi-même, car c’est là que je suis leur égal, et peut-être leur inférieur. Ils savent ce qu’ils veulent, et je ne le sais pas ; et, si j’ai des troubles qu’ils ne connaissent pas, qui m’assure que je ne suis pas traître à mon âme et à ma destinée, autant et plus qu’ils ne le sont eux-mêmes au but final de la vie ? Mais quel est-il, ce but mystérieux, invisible ? »