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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

J’ai gardé ses beaux pieds des atteintes trop rudes,
Dont la terre eût blessé la tendre nudité,
J’ai couronné son front d’étoiles immortelles,
J’ai parfumé mon cœur pour lui faire un séjour.
Et je n’ai rien laissé s’abriter sous ses ailes
            Que la prière et que l’amour !

L’or pur que sous mes pas semait sa main prospère
N’a point payé la vigne ou le champ du potier ;
Il n’a point engraissé les sillons de mon père,
Ni les coffres jaloux d’un avide héritier.
Elle sait où du ciel ce divin denier tombe.
Tu peux, sans le ternir, me reprocher cet or ;
D’autres bouches un jour te diront sur ma tombe
            Où fut enfoui mon trésor.

Je n’ai rien demandé que des chants à sa lyre,
Des soupirs pour une ombre et des hymnes pour Dieu,
Puis quand l’âge est venu m’enlever son délire,
J’ai dit à cette autre âme un trop précoce adieu :
« Quitte un cœur que le poids de la patrie accable,
Fuis nos villes de boue et notre âge de bruit ;
Quand l’eau pure du lac se mêle avec le sable
            Le cygne remonte et s’enfuit. »

Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle,
S’il n’a l’âme et la lyre et les yeux de Néron,
Pendant que l’incendie en fleuve ardent circule
Des temples aux palais, du Cirque au Panthéon !
Honte à qui peut chanter pendant que chaque femme
Sur le front de son fils voit la mort ondoyer,
Que chaque citoyen regarde si la flamme
            Dévore déjà son foyer.