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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.

Non, tu n’as point sondé les secrets de mon être ;
Poète aérien, tu n’as pu me connaître,
Ni moi, ni cet ami, mon complice fervent,
De mon vers implacable hémistiche vivant.
Jumeaux prêts pour la palme et prêts pour le martyre,
Romulus et Rémus de la haute satire,
Un pâtre insoucieux, dès notre âge enfantin,
Ne nous égara point sur le mon Aventin ;
Ce n’est pas le poison qui dans mes veines couve ;
Nous n’avons pas sucé des mamelles de louve ;
Une femme robuste, au sein jaspé d’azur,
Nous abreuva tous deux d’un lait suave et pur ;
L’harmonieuse mer, dans son vague caprice,
Nous endormait le soir comme un chant de nourrice ;
Le premier souffle d’air entré dans nos poumons
Fut embaumé des fleurs qui tremblent sur les monts,
Brise de promontoire, haleine enchanteresse,
Qui n’arriva jamais aux vallons de la Bresse.
Et maintenant, depuis qu’en ses fantasques jeux
Le sort nous transplanta sous un ciel nuageux,
Parfois un souvenir de nos plages marines
Comme un vent d’archipel dilate nos poitrines ;
Alors, tout rajeunis par ces rêves touchants,
Nous murmurons aussi de poétiques chants,
Fils de nos visions qui, dans leur vol agile,
Ne charment qu’un instant nos pénates d’argile,
Parfums qui, s’exhalant de nos doux entretiens,
Aux abîmes du ciel vont rencontrer les tiens.
Non, nous ne jouons pas avec les funérailles ;
Non, l’appétit du sang n’est pas dans nos entrailles.
Nous cherchons ce repos que les soucis cuisants
De notre âme orageuse ont éloigné quinze ans,
Et notre jeune lyre a conservé la corde
Qui frémira de joie au jour de la concorde !