J’allais, et j’écoutais le bêlement lointain
De troupeaux agitant leurs sonnettes d’airain.
Puis, j’ai pris cette lyre, et les cordes mobiles
Ont encor résonné sous mes vieux doigts débiles :
Je voulais des grands dieux implorer la bonté,
Et surtout Jupiter, dieu d’hospitalité,
Lorsque d’énormes chiens à la voix formidable
Sont venus m’assaillir ; et j’étais misérable,
Si vous (car c’était vous), avant qu’ils m’eussent pris,
N’eussiez armé pour moi les pierres et les cris.
— Mon père, il est donc vrai : tout est devenu pire ;
Car jadis, aux accents d’une éloquente lyre,
Les tigres et les loups, vaincus, humiliés,
D’un chanteur comme toi vinrent baiser les pieds.
— Les barbares ! J’étais assis près de la poupe.
« Aveugle vagabond, dit l’insolente troupe,
Chante : si ton esprit n’est point comme tes yeux,
Amuse notre ennui ; tu rendras grâce aux dieux… »
J’ai fait taire mon cœur qui voulait les confondre ;
Ma bouche ne s’est point ouverte à leur répondre.
Ils n’ont pas entendu ma voix, et sous ma main
J’ai retenu le dieu courroucé dans mon sein.
Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne,
Puisqu’ils ont fait outrage à la muse divine,
Que leur vie et leur mort s’éteignent dans l’oubli,
Que ton nom dans la nuit demeure enseveli !
— Viens, suis-nous à la ville ; elle est toute voisine
Et chérit les amis de la muse divine.
Un siège aux clous d’argent te place à nos festins ;
Et là, les mets choisis, le miel et les bons vins,
Sous la colonne où pend une lyre d’ivoire,
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ANDRÉ CHÉNIER.