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LÉON BARRACAND.

 
Être à peine ébauché, médaille mal venue
Dont on devait briser la matrice inconnue.
Mais il portait au front la mâle volonté,
Ses bras étaient armés par la nécessité,
Et l’âme et la raison brillaient sous sa paupière.

Terrible, et brandissant une hache de pierre,
Il se rua d’abord sur les fauves troupeaux,
Les dispersa, tailla des habits dans leurs peaux,
Et vêtit ses enfants avec leur chaud pelage.
Ainsi, noirs et grondants, chassés de plage en plage,
Il les vit disparaître, et posa pour leurs pas
Des bornes au désert, qu’ils ne franchiraient pas.
Puis, doux envers les doux, sa colère assouvie,
Connaissant mieux aussi les besoins de sa vie,
Pour alléger sa peine et soulager ses maux,
Il reçut sous son toit les autres animaux :
Tous ceux qui, vagabonds, sans gîte et nourris d’herbe,
N’avaient jamais encor plié leur col superbe,
Et qui, soumis depuis, d’un labeur journalier
Récompensent les soins de l’homme hospitalier.
L’indomptable cheval, dont l’œil en flamme éclate,
Vint, tout fier, se courber sous la main qui le flatte ;
La brebis qui paissait dans le libre gazon
Offrit avec son lait sa pesante toison;
Le chien devint alors son compagnon fidèle.
Le farouche ramier, la sauvage hirondelle
Se rapprocha de l’homme, abandonnant les bois ;
Et les bœufs mugissants vinrent tous à la fois,
Descendant la montagne aux solitudes mornes,
Sous le joug attendu baisser leurs grandes cornes,
Et, guidés par le bras armé de l’aiguillon,
Promenèrent le soc dans le premier sillon.


(Gul)


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