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ANTHOLOGIE DU XIXe SIÈCLE.


Avoir été celui qu’on flatte et qu’on encense.
Le fier triomphateur, exempt de tout affront ;
Avoir eu, sans le sceptre, une toute-puissance,
Et, plus qu’un diadème, une auréole au front ;

Puis déchoir, puis tomber, puis n’être plus qu’une ombre ;
Voir ses chants immortels outragés par l’oubli ;
Traîner ses jours vieillis sous un ciel toujours sombre,
Pauvre et calomnié, frappé, mais non sali !

Ah ! nous fûmes ingrats, injustes, cruels même !
Ta plainte à se répandre eut trop de fois raison,
Et nous n’avons que trop mérité fanathème
Pour t’avoir fait trouver l’exil dans ta maison !

C’est que l’exil n’est pas seulement hors de France ;
Il est où sont les cœurs opprimés ou trahis ;
Il est où nulle main n’apaise une souffrance ;
Il est où l’on est seul, même dans son pays !

Eh bien ! dans ce martyre et cette solitude,
Le sort, qui si longtemps te bannit sous ton toit,
Le sort, qui t’accablait d’une atteinte si rude,
Eut, parmi ses rigueurs, une faveur pour toi.

Il t’épargna ce deuil, amer aux plus stoïques,
Et qui t’eût fait saigner tout le sang de ton cœur,
De voir, sous la moisson de ses morts héroïques,
Le sol français foulé par le pied d’un vainqueur.

Aujourd’hui que, le front sorti de nos décombres,
Nous relevons la tête à des soleils plus beaux,
Nous voulons rendre aussi le jour aux grandes Ombres,
Et nous faisons jaillir la clarté des tombeaux.