Page:Lemerre - Anthologie des poètes français du XIXème siècle, t3, 1888.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
JOSÉ-MARIA DE HEREDIA.



ANTOINE ET CLEOPÂTRE


I. — LE CYDNUS




Sous l’azur triomphal, au soleil qui flamboie,
La trirème d’argent blanchit le fleuve noir,
Et son sillage y laisse un parfum d’encensoir
Avec des chants de flûte et des frissons de soie.

À la proue éclatante où l’épervier s’éploie,
Hors de son dais royal se penchant pour mieux voir,
Cléopâtre, debout dans la splendeur du soir,
Semble un grand oiseau d’or qui guette au loin sa proie.

Voici Tarse où l’attend le guerrier désarmé ;
Et la brune Lagide ouvre dans l’air charmé
Ses bras d’ambre où la pourpre a mis des reflets roses ;

Et ses yeux n’ont pas vu, présages de son sort,
Auprès d’elle, effeuillant sur l’eau sombre des roses,
Les deux Enfants divins, le Désir et la Mort.


____________



II. — SOlR DE BATAILLE




Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor, dans l’air où vibraient leurs voix fortes,
La chaleur du carnage et ses acres parfums.

D’un œil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Tourbillonner au loin les archers de Phraortes ;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.