Page:Lemonnier - Gros, Laurens.djvu/45

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qu’à propos de la Prise de Madrid, exposée en 1810, Guizot écrira : « Tout est là d’une vérité rare, mais on y chercherait en vain quelque beauté… Un moine… prouve encore mieux peut-être que cette trivialité est un défaut naturel de l’imagination du peintre… Il y a, si j’ose le dire, quelque chose de profondément ignoble dans cet embonpoint attribué à un suppliant. » Observation inexacte d’ailleurs, car nous avons en vain cherché dans le tableau ce moine si gras. Ne le fût-elle pas, elle semble en elle-même quelque peu saugrenue, mais elle fait toucher du doigt la profonde incompatibilité entre les exigences normales de la peinture d’histoire contemporaine et les doctrines classiques du temps. Ce que Guizot aurait dû dire, c’est que les figures des Espagnols sont déclamatoires jusqu’à l’outrance et que, en exagérant l’expression des sentiments de farouche et féroce patriotisme dont ils avaient donné tant de preuves, Gros en a fait des traîtres de mélodrame.

Dans la Bataille d’Eylau, le peintre n’avait pas dépassé les limites de l’art ni forcé par trop la note expressive. Si certains personnages du premier plan ont le double défaut de ne pas être à l’échelle (ils paraissent colossaux) et de manquer de simplicité ou de naturel, Napoléon, Murat, les généraux ou officiers de son entourage sont admirables de justesse et de réalité. L’artiste a rendu les différents caractères avec une discrétion et une finesse d’analyse qui sont presque d’un psychologue, mais d’un psychologue qui est peintre. Quant à l’horizon de brume