Page:Lenotre - Prussiens d’hier et de toujours, 1916.djvu/159

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trône pour s’avancer au-devant du puissant empereur.

Mais Pierre le Grand n’aimait pas les cérémonies. Prévenu des hommages qui le menaçaient – peut-être aussi désireux de mystifier son hôte, – il arriva en petite voiture, par l’une des portes de la ville, opposée à celle où il était guetté, se fit conduire chez son ambassadeur, y passa une redingote et se rendit en fiacre au palais royal où il se fit annoncer, brusquement, entra, dit quelques mots, sortit et retourna chez lui sans être aperçu. À sa vue, Frédéric pensa s’évanouir de dépit : il avait manqué tous ses effets. Et le peuple attendait dans les rues et sur les places ! On essaya bien de lui donner le change en faisant sonner aussitôt les cloches et tonner le canon ; mais il était trop tard, et pendant toute la journée les Berlinois écarquillèrent les yeux et s’écrasèrent pour voir un souverain qui ne parut pas.

Quelques années plus tard, lors de son second passage à Berlin, en 1717, Pierre le Grand se montra un peu plus complaisant. Mais son séjour fut marqué par un incident dont certains tirèrent mauvais présage. Convié à boire dans une coupe de cristal – que conserve le musée de Monbijou – le tsar, après s’en être servi pour porter la santé de ses hôtes, jeta, suivant l’usage russe, le verre vide loin de lui afin que personne n’y pût boire désormais. À l’étonnement général, la coupe ne se brisa point, prodige dont les gens superstitieux se permirent d’augurer que l’amitié de la Prusse et de la Russie ne serait pas éternelle.