Page:Lenotre - Prussiens d’hier et de toujours, 1916.djvu/158

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d’Estrée ont conté l’aventure, entre cent autres. Berlin avait donc vu arriver, un jour, dans ses murs, une troupe de gens dépenaillés qu’on prit pour des montreurs d’ours et qui avaient été comme tels bâtonnés tout le long de la route, malgré les protestations de leur interprète, un pauvre diable d’Allemand, auquel le grand khan de Tartarie avait fait couper le nez et les oreilles. Ces vagabonds traînaient un cheval étique et boiteux qu’ils présentèrent comme un cadeau de leur puissant empereur au souverain de la Prusse, ainsi qu’une paire de pistolets rouillés que l’un d’eux portait solennellement. Lorsqu’on apprit que ces loqueteux étaient véritablement les envoyés du prince oriental, dont le renom et la splendeur étaient légendaires, la déception des Berlinois fut cruelle. On jugea que le grand khan ne s’était pas mis en frais pour le roi de Prusse. Il fallut fournir de linge et de chaussures ces étranges diplomates et les renvoyer chez eux.

Frédéric souhaitait donc une revanche et sa joie vaniteuse fut sans bornes quand le tsar Pierre le Grand annonça son arrivée prochaine à Berlin. Aucun préparatif ne fut ménagé : le peuple fut convié de vingt lieues à la ronde ; l’armée fut habillée à neuf et, tandis que les sonneurs étaient à leurs cloches et les artilleurs à leurs canons, les généraux en tenue de gala et les échevins en robe rouge se massaient à la porte de la ville, leurs harangues à la main. Au château tout le monde se tenait à son poste et le roi, piétinant d’impatience, attendait le moment de descendre de son