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derrière les vieux murs en ruines

Je m’approche d’un petit groupe d’où montent des cris.

Oh ! ces vieilles ! ces effrayantes vieilles sans âge, aux chairs flasques ou desséchées, véritables sorcières réunies pour des incantations ! Leurs yeux, d’eau trouble et jaunâtre, clignotent au fond des orbites, leurs bouches ouvrent des trous sombres que hérisse une seule dent cariée… Elles portent des boléros d’or terni, des satins sans reflets… étranges costumes surannés dont les bleus, les verts et les roses achèvent de s’éteindre sous la crasse.

Toutes, avec leurs bras décharnés et leurs mains crochues, elles font les gestes du désespoir, griffant leurs faces de spectres… mais leurs doigts n’approchent point des joues, car elles ont soin de laisser une bonne distance entre leurs ongles et leurs visages. Elles répondent aux stances de la chanteuse principale par des aboiements scandés qui voudraient être lugubres.

Jérusalem ! ô mon malheur ! splendide était son état.
Aujourd’hui, croulante, croulée, sont tombés tous ses remparts.
Jérusalem ! ô mon malheur ! ô la belle des cités !
Aujourd’hui, croulante, croulée, on y fait paître les veaux !
Jérusalem ! ô mon malheur ! là des palais et des hammams.
Aujourd’hui, croulante, croulée, on y fait paître des ânes.
Jérusalem ! ô mon malheur ! Jadis abondances et festins,
Dressez les tables, apportez les grands plats !
Aujourd’hui, croulante, croule, famine et malédiction !

— Ha wou ! wou ! wou ! hurlent les pleureuses en griffant le vide.