Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Les types, d’abord, sont frappants : ce baron Gouraud, sénateur abruti, qui a des yeux d’accusé qu’on juge à huis-clos, et qui, lourd, avachi, brisé par les rudes travaux des maisons de passe, mâche pesamment, la tête penchée sur son assiette, comme un bœuf aux paupières lourdes ; Hupel de la Noue, le préfet à poigne, qui a dû être quelque part le père des pompiers et inventer de prodigieux virements ; Haffner, le candidat officiel, qui, plus tard, livrera son Alsace à la Prusse, par la force du plébiscite qu’il fera triompher ; Michelin, le chef de bureau corrompu, dont l’avancement est le prix de la honte, et les deux entrepreneurs balourds, Charrier et Mignon, qui sont si contents de la Curée impériale qu’ils disent tout haut ce que chacun pense tout bas : « Quand on gagne de l’argent, tout est beau ! » Mais, outre ces types si vrais, si reconnaissables, l’air capiteux de cette salle à manger, où tant de convoitises et d’infamies sont attablées, l’impression de cette réunion de parvenus digérant les truffes comme ils avalent les millions, gloutonnement et bestialement, le relent de tous ces êtres échauffés mêlé à l’odeur de toute cette mangeaille, la buée indéfinissable flottant au-dessus de cette nappe et de ces convives, tout ce fond du tableau, l’artiste l’a rendu, et de main de maître. Il a noté jusqu’à ces « fumets légers traînant, mêlés au parfum des roses », et a constaté que « c’était la senteur âpre des écrevisses et l’odeur aigrelette des citrons qui dominaient » . Une autre scène, où le talent de l’écrivain s’est joué de toutes les difficultés cherchées et entassées comme à plaisir, c’est celle de la serre : la fameuse scène de la serre. Zola est parvenu à y donner la sensation vive et précise d’un effréné duo d’amour. Là, tous les raffinements d’une passion maladive se mêlent à l’âcre stimulant du crime,