Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/73

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minuit qui vous fait disparaître confus, mais non repentant ni corrigé, sous les draps, dans les ténèbres, le jeune troubadour, isolé, affamé, dans Paris, dut reconnaître que la poésie, quand le poète est inédit et mal vêtu, n’est pas ce que les tribunaux classent parmi les moyens d’existence avouables. Il admettait donc qu’il lui fallait entreprendre un ordinaire travail quelconque pour vivre. Mais ce mode de subsistance, il ne le trouvait pas. Il souffrait ainsi doublement, d’abord, en se décidant à renoncer à la Muse, comme il disait, en son style mussettiste d’alors, nourrice trop sèche qui n’allaite pas son homme, et ensuite en ne mettant pas la main sur l’outil producteur, qu’il consentait à empoigner, sans pour cela lâcher la lyre. Comme Apollon, il voulait bien se faire berger, mais il ne rencontrait pas d’Admète lui confiant des troupeaux. Il espérait vaguement obtenir un emploi qui lui donnerait à manger, sans le priver de son alimentation cérébrale. Il ferait comme tant d’autres jeunes hommes, épris d’art, parvenant à vivre à l’aide d’une place, avec quelques loisirs pour se livrer à la poésie, au roman, au théâtre, à la philosophie. Accomplir un rôle de machine, travailler le jour pour du pain, disait-il, puis, dans les moments perdus, revenir à la Muse, tâcher de se créer un nom littéraire, c’est le rêve que j’ai fait. Malheureusement, ce but louable, qu’il déterminait ainsi : ne pas quitter la littérature, qui, peut-être, un jour, pourrait devenir une source d’honneurs et de gains et, en attendant ce jour bienheureux, subvenir aux besoins de la vie par un travail n’importe lequel, lui échappait. Depuis plus d’un an, écrivait-il à Baille, je fais une chasse féroce aux emplois, mais si je cours bien, ils courent mieux encore !