Il connut alors ces étapes fatigantes, et parfois humiliantes, du
quémandeur de places, du chercheur de travail. Qu’on est désarmé, dans
cette bataille du pain, quand on ne possède pas ce que, si sagement,
Rousseau voulait qu’on donnât à son Émile, jeune gentilhomme pourtant, et
pourvu d’un patrimoine : un métier, un outil. Avec une netteté de jugement
rare, Zola ne se plaignait pas tant du refus des patrons auxquels il
s’offrait que du peu de titres qu’il avait à leur acceptation. « Tu ne
saurais croire combien je suis difficile à placer ! » avouait-il à son
confident d’Aix.
Ce n’était pas qu’il eût des exigences grandes et des prétentions
inadmissibles. Il reconnaissait son défaut de capacités professionnelles.
Il savait une foule de choses inutiles pour obtenir un emploi, et il
ignorait précisément celles qu’il aurait fallu savoir. Ceci a été constaté
cent fois, et tous ceux qui ont critiqué l’enseignement universitaire ont
usé de cet argument. Les humanités sont aristocratiques. Elles préparent
aux nobles fonctions de dirigeant, de pasteur des peuples, de maître
discourant en chaire, ou de ciseleur de mots travaillant pour des clients
de loisir. Ces belles et précieuses études classiques conviennent surtout
à quelque jeune privilégié, n’ayant pas à se préoccuper du salaire
immédiat, mais visant seulement, de haut, la fortune à venir, avec
l’autorité, les dignités et parfois la gloire en plus. Mais la critique de
Zola n’est ni vaine déclamation, ni raisonnement de moraliste. Elle est la
voix même des entrailles à jeun du solliciteur rebuté. Ce n’est pas une
apostrophe de rhéteur traitant un lieu commun, c’est la clameur sincère
de la créature impuissante à gagner un salaire, et confessant qu’il n’y a
pas, dans ce fait, que de l’injustice sociale et que du mauvais vouloir
patronal.
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