Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/96

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Il n’est pas rare qu’on se méprenne, à vingt ans, sur sa vocation et sur ses aptitudes. Ceci se produit dans « le commerce des Muses », comme dans tout autre entreprise. Les circonstances, le besoin d’un travail productif, le défaut d’énergie, et la disposition qu’on a, surtout dans la jeunesse, à imiter, font que plus d’un écrivain, et plus d’un peintre, stagnent dans la médiocrité simiesque, tandis qu’en dirigeant autrement leurs efforts, en modifiant leur genre, en changeant de but, ces ratés eussent peut-être atteint la maîtrise. Le tort de certains artistes, souvent laborieux et patients, c’est de ne pas reconnaître qu’ils se sont fourvoyés, et surtout, ayant fait cette constatation, de persister. On peut, à la guerre, vaincre comme Ajax, malgré les dieux ; il est impossible, en art, de triompher, si l’on n’a pas le don spécial au combat qu’on livre. Zola eut le mérite de bien discerner sa fausse vocation de poète, et la force de ne pas s’entêter à rimer des vers, qu’il reconnaissait sinon absolument mauvais, du moins faibles et quelconques. Le sacrifice qu’il fit des enfants de son inspiration est plus héroïque que celui d’Abraham, car aucune volonté divine ne lui ordonnait de jeter ses vers au bûcher. De lui-même, il précipita dans le tombeau d’un tiroir, destiné à rester perpétuellement clos, ces premières œuvres qui lui avaient pourtant procuré tant de jouissance, tant de consolations, durant la conception. Il les avait engendrés, ces pauvres avortons, dans un logis ouvert à tous les vents, avec le ventre creux et les pieds gelés, mais, en les procréant, il avait eu la fièvre au front, le spasme au cœur, et de la joie partout. Ce ne fut ni par lassitude ni par dépit qu’il se résigna à ne pas publier ses poèmes et qu’il décida aussi de ne