Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tombe dans la foule, un ouvrier tisseur nommé Lyonnet. Une clameur s’élève de la place. On se bouscule, on menace, on crie : « Aux armes ! » Tambours et clairons font entendre la charge. Des gardes nationaux enfiévrés, sans ordres, déchargent leurs fusils. C’est une confusion terrible. Le torrent humain a roulé jusqu’au pied de l’Hôtel-de-Ville. Les escaliers sont escaladés, les couloirs envahis, des cris de : « Vengeance ! On assassine nos frères ! » s’entendent de toutes parts. Le préfet, de la salle où il confère avec les conseillers municipaux, les délégués des clubs et les autorités, entend ces cris, qui le troublent ; les coups de feu l’affolent. Il perd la tête, lève précipitamment la séance : Voyant une petite porte derrière lui, il l’ouvre, s’élance dans un corridor sombre, cherchant à fuir. Mais, arrivé de la veille, il ne connaissait pas les couloirs de l’Hôtel-de-Ville. Il se trouve sur un palier où déjà se précipitaient des assaillants, cherchant à gagner la salle du conseil. Reconnu, entouré, saisit, il est ramené dans la salle d’où il avait tenté de s’échapper. Il fut alors gardé à vue avec le substitut et deux ou trois autres personnages suspects aux insurgés.

On promenait au dehors, étendu sur une civière, le cadavre du malheureux Lyonnet. Ce spectacle lugubre surexcitait les nerfs de la foule, Des appels à la vengeance, des menaces, des clameurs de représailles montaient jusque dans la salle, où le préfet semblait déjà être un otage voué au talion populaire. On le regardait avec des yeux farouches, des poings se hérissaient, des gardes nationaux se groupaient, le fusil chargé et l’aspect terrible. Des bouches grimaçantes proféraient des accusations confuses, bientôt suis vies d’exclamations plus précises, annonçant, réclamant un châtiment immédiat. Plusieurs ouvriers, le visage contracté de fureur, reprochaient à M. de l’Espée, très pâle, d’avoir