Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cutions. Elle estime seulement qu’on lui mesure trop cet intéressant spectacle, et que les agents aussi l’empêchent trop brutalement d’être bien placée pour n’en pas perdre une scène. Cette même populace, qui faisait un cortège enthousiaste à l’échafaud qu’on allait brûler, s’amusait autrement quelques mois auparavant : elle se bousculait et s’empressait pareillement, quand on dressait cet échafaud dans le même quartier ; elle voulait se pousser au premier rang, afin de mieux voir tomber dans le seau ignoble la tronche rose de quelque misérable assassin, rognée par le couteau, d’où le sang dégoulinait sur les cinq pavés.

Une aversion mystérieuse cependant, une haine instinctive, à laquelle s’ajoute comme une vague appréhension, règnent dans les âmes populaires, à la vue, au contact du bourreau et de son sanglant appareil. Il y a là une répugnance atavique. L’exécuteur est encore dans notre société, comme au moyen-âge, un personnage étrange, méprisé, et instinctivement redouté, dont nul ne recherche le voisinage. Lorsqu’il se présente, en dehors de ses heures de travail, sous les apparences d’un petit bourgeois cultivant des gobéas ou des pois de senteur dans son jardinet de la banlieue, on le désigne timidement du doigt, et l’on passe vite devant la grille impopulaire. Quand les préparatifs de sa profession l’obligent à se rendre dans un quartier où fréquentent les rôdeurs et les gens prêts à tout méfait, il peut cheminer tranquille, en sécurité. Il est reconnu, signalé, par ces êtres malfaisants, se pressentant des clients possibles de cet opérateur infaillible, chirurgien des gangrènes sociales. Des yeux sournois le suivent dans sa marche pondérée, par les ruelles dangereuses, et des lèvres minces murmurent à des oreilles énormes : c’est Charlot ! On laisse passer sans une insulte, sans une menace, sans une violence, ce bonhomme en redingote bourgeoise, ayant pourtant l’as-