Page:Lepelletier - Histoire de la Commune de 1871, volume 3.djvu/36

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règne, si troublé, si bref, et contribua à la défaite finale. Pour les générations qui ont succédé, cette absence d’un homme la conduisant, d’une individualité la personnifiant, est devenue une force. C’est là ce qui a surtout maintenu son prestige. Elle ne fut pas l’œuvre d’un grand homme ni même d’une personnalité secondaire, et elle ne garde pas l’empreinte d’un dictateur l’ayant façonnée, comme le modeleur la cire, selon son génie et sa vigueur. Elle a conservé son caractère impersonnel et collectif.

Il y eut, sans doute, durant cette période de deux mois, des hommes plus entreprenants, plus autorisés aussi, justifiant de services démocratiques éprouvés, qui furent portés par la popularité à la direction des affaires, qui exercèrent une indiscutable prépondérance. Delescluze fut un de ces citoyens, qui, par leur passé, par leurs capacités, par la confiance qu’ils inspiraient, eurent une influence grande sur les hommes, et, par eux, sur les événements. Mais l’autorité toute morale de Delescluze fut bien faible et souvent contestée. On sait avec quel cœur ferme, mais découragé, désabusé peut-être, ce grand citoyen marcha à la mort, ne voulant survivre ni à ceux qu’il avait conduits au combat, ni à ses espérances détruites avec ses illusions. On ne saurait incarner la Commune dans la personnalité de Delescluze, ni dans toute autre individualité. La Commune n’eut pas son « héros » comme l’entend Emerson. Delescluze, malgré la grande place qu’il tint à l’Hôtel-de-Ville de 71, ne fut jamais un de ces « representative men » qui résument une époque, après l’avoir en détail constituée. Une histoire de Delescluze ne serait pas une histoire de la Commune. La Commune a semblé s’inspirer du conseil égalitaire d’Anacharsis Cloots, et Paris du moins, pendant ce règne plébéien, parut « guéri des individus ».

Pourtant, ce gouvernement acéphale, libre de la domina-