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Page:Lermitage-1896-Volume12.djvu/422

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toit, y grimpait et criait qu’il était en bateau. Parfois il se mettait à califourchon sur le faîte et enfonçait son coutelas profondément dans les poutres, pour faire accroire qu’il s’imaginait être en mer et tenir ferme à la quille d’une embarcation.

Quand passaient des gens, il venait sur le seuil et leur montrait le blanc de ses yeux dans une si hideuse grimace que chacun fuyait épouvanté. C’était à peine si de chez lui on osait glisser dans le hangar le panier aux provisions. On envoyait là-bas sa plus jeune sœur, la joyeuse petite Malfri, qui restait causer avec lui et qui s’amusait follement quand il fabriquait pour elle des jouets et lui racontait toutes sortes de choses au sujet d’un bateau qui volerait comme un oiseau et qui cinglerait comme aucun bateau n’avait jamais cinglé.

Si quelqu’un se présentait à l’improviste et tentait de voir à quoi il travaillait sous le hangar, il se faufilait dans le grenier et jetait les planches sens dessus-dessous, de telle sorte qu’on ne savait où le découvrir et que l’on passait outre. Et les gens se hâtaient de regrimper la colline en l’entendant dégringoler du grenier et rire à gorge déployée de leur déconvenue.

De la sorte, Hans obtint qu’on le laissât en paix. Il travaillait le mieux le soir, quand la tempête s’acharnait sur les pierres et les écorces du toit gazonné et que les herbes marines étaient projetées par les vagues jusqu’à la porte même du hangar.

Quand le vent soufflait en gémissant par les fissures des murailles et que les flocons de neige se glissaient à l’intérieur, alors le modèle du bateau du Draug se précisait nettement à ses yeux. Les jours d’hiver étaient courts et la mèche de la lampe au-dessus de son travail jetait de grandes ombres : l’obscurité venait vite et se prolongeait longuement dans la matinée. Alors, sur sa couche de peaux il cherchait le sommeil ; un tas de copeaux lui servait d’oreiller.

Il n’épargnait point la peine. S’il y avait une planche qui ne s’adaptât point complètement à la planche voisine, si minime que fût la défectuosité, tout de suite il en enlevait toute une rangée et les rabotait à nouveau.

La nuit qui précédait la Noël, il avait terminé tout le bordage supérieur et les fourches de nage. Il travaillait avec tant d’ardeur qu’il ne s’apercevait pas de la fuite du temps.

Son rabot éparpillait les copeaux de tous les côtés lorsque, tout à coup, terrifié, il s’arrêta : quelque chose de noir se mouvait le long d’une planche.

C’était une grande et hideuse abeille qui se traînait et semblait