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« Voilà que tu rattrapes ton sale torchon », fit une voix moqueuse.

Mais au même instant, les yeux de Hans s’ouvraient et il voyait tout un chantier sur le rivage.

Et là, avec son gréement complet, sur l’eau éclatante, il y avait une « ottring »[1] d’une longueur fine et bellement proportionnée et si étincelante, qu’il ne se lassait pas de s’en réjouir la vue.

Le Draug clignait des yeux d’un air satisfait et ces yeux, de plus en plus, brillaient.

« Si je puis te reconduire en Helgeland — dit-il, — je puis te donner le moyen, aussi, de gagner ton pain. Mais pour cela il faudra que tu me paies une petite redevance. À chaque septième bateau que tu construiras c’est moi qui devrai mettre le gabord. »

Hans suffoquait. Il pressentait que par ce bateau il allait se rendre complice d’une abomination.

« Tu t’imagines, peut-être, que tu auras tout pour rien ? » dit avec une horrible grimace le Draug.

Là-dessus il y eut un sifflement, comme si quelque chose de lourd voltigeait autour du hangar et puis un rire : « Si tu veux le bateau du marin, il faut prendre en même temps le bateau du mort. Frappe trois fois ce soir sur le bout de quille avec ton marteau et on t’aidera à construire des bateaux comme l’on n’en trouvera pas dans tout le Nordland. »

Deux fois Hans leva le marteau, ce soir-là, et deux fois il le mit de côté.

Mais devant ses yeux l’ottring était là, si preste, se jouant sur la mer, telle qu’il l’avait vue, toute fraîchement goudronnée, toute gréée, pourvue d’un attirail de pêche complet. Du pied, il poussa le svelte et beau bateau pour vérifier avec quelle légèreté, à quelle hauteur il s’élevait sur les vagues au-dessus de la ligne de flottaison.

Et une fois, deux fois, trois fois le marteau, s’abattit sur la quille.

Et c’est ainsi que fut construit à Sjöholm le premier bateau. Aussi pressée que des bandes d’oiseaux s’était installée sur le promontoire la foule, à l’automne ; elle regardait Hans et ses frères mettant à flot la nouvelle ottring.

Elle glissa dans le courant : il y avait autour d’elle comme un fossé d’écume.

Tantôt elle était partie, tantôt on la voyait ; elle plongeait comme une mouette ; puis elle passait écueils et caps comme un dard.

  1. Embarcation à huit rames.