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— C’est encore lui ! c’est encore lui ! Ah ! je vais lui administrer une de ces volées…

M. Hippolyte Patard s’accrocha au mur les jambes molles, sans force, incapable de pousser un cri… Une espèce de bâton, quelque manche à balai, tournoyait au-dessus de sa tête.

Il ferma les yeux, prêt au trépas, offrant sa mort à l’Académie.

Et il les rouvrit, étonné d’être encore en vie. Le manche à balai toujours tournoyant, au-dessus d’une envolée de jupes, s’éloignait, accompagné d’un bruit précipité de galoches qui claquaient sur les trottoirs.

Ce balai, ces cris, ces menaces n’étaient donc point pour lui ; il respira.

Mais d’où était sortie cette nouvelle apparition ?

M. Patard se retourna. La porte derrière lui était entrouverte. Il la poussa et entra dans un corridor qui le conduisit à une cour où s’était donné rendez-vous toute la bise d’hiver.



La babette, originaire de l’aveyron


Il était chez Martin Latouche.

M. le secrétaire perpétuel s’était documenté. Il savait que Martin Latouche était un vieux garçon, qui n’aimait au monde que la musique, et qui vivait avec une vieille gouvernante qui, elle, ne la supportait pas ; cette gouvernante était fort tyrannique, et elle avait la réputation de mener la vie dure au bonhomme. Mais elle lui était dévouée plus qu’on ne saurait dire et, quand il avait été bien sage, elle le cajolait en revanche, comme un enfant. Martin Latouche subissait ce dévouement avec la résignation d’un martyr. Le grand Jean-Jacques, lui aussi, connut des épreuves de ce genre et cela ne l’a pas empêché d’écrire la Nouvelle Héloïse. Martin Latouche, malgré la haine de Babette pour la mélodie et les instruments à vent, n’en avait pas moins rédigé fort correctement, en cinq gros volumes, une Histoire de la Musique, qui avait obtenu les plus hautes récompenses à l’Académie française.

M. Hippolyte Patard s’arrêta dans le couloir, à l’entrée de la cour, persuadé qu’il venait de voir sortir et d’entendre la terrible Babette.

Il pensait bien qu’elle allait revenir.

C’est dans cet espoir qu’il se tint coi, n’osant appeler, de peur de réveiller peut-être des locataires irascibles, et ne se risquant point dans la cour, de peur de se rompre le cou.

La patience de M. le secrétaire perpétuel devait être récompensée. Les galoches claquèrent à nouveau, et la porte d’entrée fut refermée bruyamment.

Et aussitôt une forme noire vint se heurter contre le timide visiteur.

— Qui est là ?

— C’est moi, Hippolyte Patard… Académie, secrétaire perpétuel… fit une voix tremblante… ô Richelieu !

— Qu’est-ce que vous voulez ?

— M. Martin Latouche…

— Il n’est pas là… mais entrez tout de même… j’ai quelque chose à vous dire…

Et M. Hippolyte Patard fut poussé dans une pièce dont la porte s’ouvrait sous la voûte.

Le pauvre secrétaire perpétuel s’aperçut alors, à la lueur d’un quinquet qui brûlait sur une table grossière en bois blanc et qui éclairait, contre le mur, toute une batterie de cuisine, qu’on l’avait fait entrer dans l’office.

La porte avait claqué derrière lui.

Et, devant lui, il voyait un ventre énorme recouvert d’un tablier à carreaux, et deux poings appuyés sur deux formidables hanches. L’un de ces poings tenait toujours le manche à balai.

Au-dessus, dans l’ombre, une voix, la voix de rogomme vers laquelle M. Hippolyte Patard n’osait pas lever les yeux disait :

Vous voulez donc le tuer ?

Et ceci était dit avec un accent particulier à l’Aveyron, car Babette était de Rodez comme Martin Latouche.

M. Hippolyte Patard ne répondit pas, mais il tressaillit.

Et la voix reprit :

— Dites, Monsieur le Perpétuel, vous voulez donc le tuer ?

«  Monsieur le Perpétuel » secoua énergiquement la tête en signe de dénégation.

— Non, finit-il par oser dire… Non, madame, je ne veux pas le tuer, mais je voudrais bien le voir.

— Eh bien, vous allez le voir, Monsieur le Perpétuel, parce qu’au fond, vous avez une bonne tête d’honnête homme qui me revient… vous allez le voir, car il est ici… Mais auparavant, il faut que je vous parle… C’est pour ça qu’il faut me pardonner, Monsieur le Perpétuel, d’avoir fait entrer un homme comme vous dans mon office…

Et la terrible Babette, ayant enfin déposé son manche à balai, fit signe à