Page:Leroux - Le Fauteuil hanté.djvu/27

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M. Hippolyte Patard de la suivre au coin d’une fenêtre où ils trouvèrent chacun une chaise.

Mais avant que de s’asseoir la Babette alla cacher son quinquet tout derrière la cheminée, de telle sorte que le coin où elle avait entraîné «  Monsieur le Perpétuel » se trouvait plongé dans une nuit opaque. Puis elle revint, et, tout doucement, ouvrit l’un des volets intérieurs qui fermaient la fenêtre. Alors, un pan de fenêtre apparut avec ses barreaux de fer ; et un peu de la lueur tremblotante du réverbère, abandonné sur le trottoir d’en face, ayant glissé à travers ces barreaux, la figure de Babette en fut doucement éclairée. M. le secrétaire perpétuel la regarda et fut rassuré, bien que toutes les précautions prises par la vieille servante n’eussent point manqué de l’intriguer, et même de l’inquiéter. Cette figure, qui devait être, dans certains moments, bien redoutable à voir, exprimait, dans cette sombre minute, une douceur apitoyée qui donnait confiance.

— Monsieur le Perpétuel, dit la Babette en s’asseyant en face de l’académicien, ne vous étonnez pas de mes manières ; «  je vous mets dans le noir » pour surveiller «  le Vielleux ». Mais il ne s’agit pas de ça pour le moment… pour le moment je ne veux vous dire qu’une chose (et la voix de rogomme se fit entendre jusqu’aux larmes) : Voulez-vous le tuer ?

Ce disant, la Babette avait pris dans ses mains les mains d’Hippolyte Patard qui ne les retira point, car il commençait d’être profondément ému par cet accent désolé qui venait du cœur en passant par l’Aveyron.

— Écoutez, continua la Babette, je vous le demande, Monsieur le Perpétuel, je vous le demande bien sincèrement, en votre âme et conscience, comme on dit chez les juges, est-ce que vous croyez que toutes ces morts-là, c’est naturel ? Répondez-moi, Monsieur le Perpétuel !

À cette question, à laquelle il ne s’attendait pas, M. le «  Perpétuel » sentit un certain trouble. Mais, au bout d’un instant qui parut bien solennel à la Babette, il répondit d’une voix affermie :

— En mon âme et conscience, oui… je crois que ces morts sont naturelles…

Il y eut encore un silence.

— Monsieur le Perpétuel, fit la voix grave de Babette, vous n’avez peut-être pas assez réfléchi…

— Les médecins, Madame, ont déclaré…

— Les médecins se trompent souvent, Monsieur… On a vu ça, en justice… songez-y Monsieur le Perpétuel. Écoutez : je vais vous dire une chose… On ne meurt pas comme ça, tout d’un coup, au même endroit, à deux, en disant quasi les mêmes paroles, à quelques semaines de distance sans que ça ait été préparé !

La Babette, dans son langage plus expressif que correct, avait admirablement résumé la situation. M. le secrétaire perpétuel en fut frappé.

— Qu’est-ce que vous croyez donc ? demanda-t-il.

— Je crois que votre Eliphas de la Nox est un vilain sorcier… Il a dit qu’il se vengerait et il les a empoisonnés… Le poison était peut-être dans la lettre… vous ne me croyez pas ?… Et ça n’est peut-être pas ça ? Mais, Monsieur le Perpétuel, écoutez-moi bien… c’est peut-être autre chose !… Je vais vous poser une question : «  En votre âme et conscience, si, en faisant son compliment, M. Latouche tombait mort comme les deux autres, croiriez-vous toujours que c’est naturel ?  »

— Non, je ne le croirais pas ! répondit sans hésiter M. Hippolyte Patard.

— En votre âme et conscience ?

— En mon âme et conscience !

— Eh bien, moi, Monsieur le Perpétuel, je ne veux pas qu’il meure !

— Mais il ne mourra pas, Madame !

— C’est ce qu’on a dit pour ce M. d’Aulnay et il est mort !

— Ce n’est pas une raison pour que M. Latouche…

— Possible ! En tout cas, moi, je lui ai défendu de se présenter à votre Académie…

— Mais il est élu !

— Non, puisqu’il ne s’est pas présenté ! Ah ! c’est ce que j’ai répondu à tous les journalistes qui sont venus ici… Il n’y a pas à se dédire.

— Comment ! il ne s’est pas présenté ! Mais nous avons des lettres de lui.

— Ça ne compte plus… depuis la dernière qu’il vous a écrite hier soir devant moi, aussitôt qu’on a eu appris la mort de ce M. d’Aulnay… Il l’a écrite là, devant moi ; on ne dira pas le contraire… Et vous avez dû la recevoir ce matin… Il me l’a lue… Il disait qu’il ne se présentait plus à l’Académie.

— Je vous jure, madame, que je ne l’ai pas reçue ! déclara M. Hippolyte Patard.

Babette attendit avant de répondre, puis elle se décida :

— Je vous crois, Monsieur le Perpétuel.