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Page:Les Œuvres libres, numéro 10, 1922.djvu/17

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La gloire de Tolstoï attirait à Iasnaia-Poliana les visiteurs les plus divers : des princes japonais, des maharadjahs, des étudiants, des schismatiques, des vagabonds, tous, plus ou moins, venant chercher du réconfort. Parmi ces visiteurs Tolstoï avait surtout remarqué un vieux Suédois, dont il parle dans Tune de ses lettres à Tchertkov, datée de 1893.

« Hier, chez moi est venu un vieillard de soixante-dix ans, qui a vécu longtemps aux Indes et en Amérique et parle couramment l’anglais, l’allemand et le suédois. Il s’intitule lui-même « philosophe pratique » et désire enseigner aux hommes à vivre selon la loi de la nature. Il était sale et déguenillé, pieds nus et n’avait besoin de rien. Il dit que chacun doit travailler pour se nourrir de la terre sans l’aide des bêtes de somme, qu’il ne faut pas avoir d’argent, ne rien vendre, ne posséder rien de trop et partager tout ce que l’on a. Bien entendu il est sévèrement végétarien. Il parle bien, et, plus que sincère, il est fanatique de son idée. Il dit qu’il n’a pas de religion ; mais il entend sous ce nom les superstitions, alors que lui-même est pénétré de l’esprit du christianisme. Il voudrait avoir un morceau de terre pour démontrer qu’il faut se nourrir sans bêtes de somme, et qu’on le peut. Ne voulez-vous pas que je vous l’envoie ? Ce n’est pas pour me débarrasser de lui, mais je pense qu’il peut vous être utile, et être utile à nous et aux autres par votre intermédiaire. Répondez sans tarder. Je ne l’eusse pas laissé partir, mais ici, avec nos occupations, il est de trop. Même moi, je ne puis causer avec lui comme je le voudrais et, principalement, il n’a rien à faire ici. »