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Page:Les Œuvres libres, numéro 10, 1922.djvu/18

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À sa femme à qui il écrit sur ce Suédois, presque dans les mêmes termes, Tolstoï ajoute : « Il me ressemble un peu. »


À cette époque, Tolstoï lisait beaucoup Hegel. Il note dans son journal :

« On dit que tout ce qui existe est raisonnable. Moi je pense le contraire. Ce qui existe est toujours déraisonnable. Cela seul qui n’existe pas est raisonnable. Ce que les raisonneurs appellent la fantaisie. Si ce qui existe était raisonnable, il n’y aurait pas de vie ; de même il n’y en aurait pas si ce qui n’existe pas, c’est-à-dire l’idéal, n’était pas raisonnable.

« La vie n’est rien d’autre que le mouvement continu du non raisonnable vers le raisonnable. On dit : tout ce qui existe est raisonnable. Ce n’est pas vrai. Au contraire : tout ce qui existe (si l’on se borne an monde visible et tangible) est non raisonnable. Si ce qui existe était raisonnable nous ne le reconnaîtrions pas comme existant. Nous n’aurions pas reconnu notre vie si nous n’avions pas reconnu sa discordance avec l’idéal raisonnable et travaillé à la faire disparaître. Si le canal est creusé, il ne faut plus ni travail ni ouvriers pour le creuser. S’il y a des ouvriers, c’est-à-dire des hommes qui travaillent, il est évident qu’il y a un ouvrage à faire. La même chose s’il y a la vie : alors il y a l’œuvre de la vie qu’il faut faire. Et ceux qui vivent font cette œuvre. Mais s’il y a une œuvre à accomplir dans le monde c’est donc qu’il est imparfait et qu’on entrevoit la possibilité de le perfectionner. On peut dire qu’il est raisonnable de creuser un puits ou un étang où l’eau