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« Cher Mikhaïl Mikhaïlovitch,

« Comme tu me le demandes, je vais tâcher de répondre à ta question. Je pense que l’appel de M. Witte et son désir de me voir m’intéresser à l’affaire qui l’occupe maintenant proviennent d’un malentendu. Dans tout ce que j’ai écrit ces dernières années sur les questions sociales, j’ai exprimé, comme je l’ai pu, l’idée que le mai principal dont souffre l’humanité et toute la désorganisation de la vie tiennent à l’activité du gouvernement. Une preuve éclatante nous en est donnée par la vente du poison alcool que le gouvernement non seulement tolère mais encourage, et qui lui rapporte le tiers de son budget.

« Selon moi, si le gouvernement se croit en droit d’employer la violence pour le bien de son peuple, les premières mesures de cette violence devraient être prises pour prohiber radicalement le poison qui tue physiquement et moralement des millions d’êtres humains. Si le gouvernement se croit le droit d’interdire les maisons de jeux et d’autres choses du même genre, il peut également prohiber l’alcool, comme cela a lieu dans plusieurs États d’Amérique. Mais il profite de ces revenus et autorise ce qu’il pourrait interdire, comment donc peut-il désirer diminuer la consommation de l'alcool ? Dans ces conditions, les sociétés de tempérance instituées par le gouvernement, qui n’a pas honte de faire vendre par ses fonctionnaires le poison qui tue les hommes, me font l’effet d’un sacrilège, ou d’une comédie, ou d’une aberration, ou tout cela ensemble, et je ne puis voir cela favorablement.

« Pardonne-moi d’avoir barbouillé ainsi cette lettre. J’avais l’intention d’écrire de façon que tu pusses transmettre directement ma réponse à M. Witte, mais il me semble que telle quelle