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JALOUSIE

ment connu quelque liaison masculine de son frère que, dans l’espoir de l’appui que celui-ci lui prêterait, espoir uni au pieux souvenir du temps passé, M. de Guermantes eût passé dessus, fermant les yeux sur elle, et au besoin prêtant la main. « — Voyons, Basin ; bonsoir, Palamède, dit la duchesse qui, dévorée de rage et de curiosité, n’y pouvait plus tenir, si vous avez décidé de passer la nuit ici, il vaut mieux que nous restions à souper. Vous nous tenez debout, Marie et moi, depuis une demi-heure. » Le duc quitta son frère après une significative étreinte et nous descendîmes tous trois l’immense escalier de l’hôtel de la princesse.

Des deux côtés, sur les marches les plus hautes, étaient répandus des couples qui attendaient que leur voiture fût avancée. Droite, isolée, ayant à ses côtés son mari et moi, la Duchesse se tenait à gauche de l’escalier, déjà enveloppée dans son manteau à la Tiepolo, le col enserré dans le fermoir de rubis, dévorée des yeux par des femmes, des hommes, qui cherchaient à surprendre le secret de son élégance et de sa beauté. Attendant sa voilure sur le même degré de l’escalier que Mme de Guermantes, mais à l’extrémité opposée, Mme de Gallardon qui avait perdu depuis longtemps tout espoir d’avoir jamais la visite de sa cousine, tournait le dos pour ne pas avoir l’air de la voir, et surtout pour ne pas offrir la preuve que celle-ci ne la saluait pas. Mme de Gallardon était de fort méchante humeur parce que des messieurs qui étaient avec elle avaient cru devoir lui parler de Mme de Guermantes : « — Je ne tiens pas du tout à la voir, leur avait-elle répondu, je l’ai du reste aperçue tout à l’heure, elle commence à vieillir ; il paraît qu’elle ne peut pas s’y faire, Basin lui-même le dit. Et dame, je comprends ça, parce que comme elle n’est pas intelligente, qu’elle est méchante