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JALOUSIE

l’amabilité ne se manifeste pas chez tout le monde de la même façon. N’ayant pas été astreint par éducation aux mêmes règles fixes de savoir-vivre que les gens du monde, Cottard était plein de bonnes intentions qu’on ignorait, qu’on niait, jusqu’au jour où il avait l’occasion de les manifester. Il s’excusa, avait bien reçu mes lettres, avait signalé ma présence aux Verdurin qui avaient grande envie de me voir et chez qui il me conseillait d’aller. Il voulait même m’y emmener le soir même car il comptait reprendre le petit chemin de fer d’intérêt local pour aller y dîner. Comme j’hésitais et qu’il avait encore un peu de temps pour son train, la panne devant être assez longue, je le fis entrer dans le petit casino, un de ceux qui m’avaient paru si tristes le soir de ma première arrivée, plein maintenant du tumulte des jeunes filles lesquelles, faute de cavaliers, dansaient ensemble. Andrée vint à moi en faisant des glissades. Je comptais repartir dans un instant avec Cottard chez les Verdurin, quand je refusai définitivement son offre, pris d’un désir trop vif de rester avec Albertine. C’est que je venais de l’entendre rire. Et ce rire évoquait aussi les roses carnations, les parois parfumées contre lesquelles il semblait qu’il vînt de se frotter et dont, âcre, sensuel et révélateur comme une odeur de géranium, il avait l’air de transporter avec lui quelques particules pondérables irritantes et secrètes.

Une des jeunes filles que je ne connaissais pas se mit au piano, et Andrée demanda à Albertine de valser avec elle. Heureux dans ce petit casino de penser que j’allais rester avec mes amies, je fis remarquer à Cottard comme elles dansaient bien. Mais lui, du point de vue spécial du médecin, et avec une mauvaise éducation qui ne tenait pas compte de ce que je connaissais ces jeunes filles à qui il avait pourtant dû me voir