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JALOUSIE

susse déjà. Au contraire, il ne doutait pas que je l’ignorasse et surtout il s’en effrayait. Aussi disait-il « vous le savez » pour s’éviter à lui-même les affres qu’il eût traversées en prononçant les phrases destinées à me l’apprendre.

On ne devrait jamais se mettre en colère contre ceux qui, pris en faute, se mettent à ricaner. Ils le font non parce qu’ils se moquent, mais parce qu’ils tremblent que nous puissions être mécontents. Témoignons une grande pitié, montrons une grande douceur à ceux qui rient. Pareil à une véritable attaque, le trouble du lift avait amené chez lui non seulement une rougeur apoplectique, mais une altération du langage devenu soudain familier. Il finit par m’expliquer qu’Albertine n’était pas à Égreville, qu’elle devait revenir seulement à neuf heures et que si des fois, ce qui voulait dire par hasard, elle rentrait plus tôt, on lui ferait la commission, et serait en tous cas chez moi avant une heure du matin.

Ce ne fut pas d’ailleurs ce soir-là encore que commença à prendre consistance ma cruelle méfiance. Non, pour le dire tout de suite et bien que le fait ait eu lieu seulement quelques semaines après, elle naquit d’une remarque de Cottard. Albertine et ses amies avaient voulu ce jour-là m’entraîner au casino d’Incarville, et pour ma chance, je ne les y eusse pas rejointes (voulant aller faire une visite à Mme Verdurin qui m’avait invité plusieurs fois), si je n’eusse été arrêté à Incarville même, par une panne de tram qui allait demander un certain temps de réparations. Marchant de long en large en attendant qu’elles fussent finies, je me trouvai tout à coup face à face avec le docteur Cottard venu à Incarville en consultation.

J’hésitai presque à lui dire bonjour comme il n’avait répondu à aucune de mes lettres. Mais