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JALOUSIE

prit la mort de ma grand’mère, et je dois le dire à sa louange, qui est celle du corps médical tout entier, sans manifester, sans éprouver peut-être de satisfaction. Les erreurs des médecins sont innombrables. Ils pèchent d’habitude par optimisme quant au régime, par pessimisme quant au dénouement. « Du vin ? mais non, en quantité modérée, cela ne peut vous faire du mal, c’est en somme un tonifiant… Le plaisir physique ? après tout c’est une fonction. Je vous le permets sans abus, vous m’entendez bien. L’excès en tout est un défaut. » Du coup quelle tentation pour le malade de renoncer à ces deux résurrections, l’eau et la chasteté. En revanche si l’on a quelque chose au cœur, de l’albumine, etc. on n’en a pas pour longtemps. Volontiers, des troubles graves mais fonctionnels, sont attribués à un cancer imaginé. Il est inutile de continuer des visites qui ne sauraient enrayer un mal inéluctable. Que le malade livré à lui-même s’impose alors un régime implacable, et ensuite guérisse ou tout au moins survive, le médecin, salué par lui avenue de l’Opéra quand il le croyait depuis longtemps au Père-Lachaise, verra dans le coup de chapeau un geste de narquoise insolence. Une innocente promenade effectuée, à son nez et à sa barbe ne causerait pas plus de colère au président d’assises qui, deux ans auparavant, a prononcé contre le badaud, qui semble sans crainte, une condamnation à mort. Les médecins (il ne s’agit pas de tous bien entendu et nous n’omettons pas, mentalement, d’admirables exceptions), sont en général plus mécontents, plus irrités de l’infirmation de leur verdict que joyeux de son exécution. C’est ce qui explique que le professeur E…, quelque satisfaction intellectuelle qu’il ressentît sans doute à voir qu’il ne s’était pas trompé, sut ne me parler que tristement du malheur qui nous avait frappés. Il ne tenait pas à abréger la conversation, qui