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JALOUSIE

de services, et en ayant le sentiment d’honorer infiniment Mme de Saint-Euverte. De tels salons, moins recherchés que fuis, et où on va pour ainsi dire en service commandé, ne font illusion qu’aux lectrices de « Mondanités ». Elles glissent sur une fête vraiment élégante, celle-là où la maîtresse de la maison pouvait avoir toutes les duchesses, lesquelles brûlent d’être « parmi les élus », ne demandant qu’à deux ou trois, et ne font pas mettre le nom de leurs invités dans le journal. Aussi ces femmes, méconnaissant ou dédaignant le pouvoir qu’a pris aujourd’hui la publicité, sont-elles élégantes pour la reine d’Espagne, mais méconnues de la foule, parce que la première sait et que la seconde ignore qui elles sont.

Mme de Saint-Euverte n’était pas de ces grandes dames, et en bonne butineuse venait-elle cueillir pour le lendemain tout ce qui était invité. M. de Charlus ne l’était pas, il avait toujours refusé d’aller chez elle. Mais il était brouillé avec tant de gens, que Mme de Saint-Euverte pouvait mettre cela sur le compte du caractère.

Certes, s’il n’y avait eu que la duchesse de Guermantes, Mme de Saint-Euverte eût pu ne pas se déranger, puisque l’invitation avait été faite de vive voix, et d’ailleurs acceptée par Oriane avec cette charmante bonne grâce trompeuse dans l’exercice de laquelle triomphent ces académiciens de chez lesquels le candidat sort attendri et ne doutant pas qu’il peut compter sur leur voix. Mais il n’y avait pas qu’Oriane. Le prince d’Agrigente viendrait-il ? Et Mme de Durfort ? Aussi pour veiller au grain, Mme de Saint-Euverte avait-elle cru plus expédient de venir elle-même ; insinuante avec les uns, impérative avec les autres, pour tous elle annonçait à mots couverts d’inimaginables divertissements qu’on ne pourrait revoir une seconde fois, et à chacun