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JALOUSIE

promettait qu’il trouverait chez elle la personne qu’il avait le désir, ou le personnage qu’il avait le besoin de rencontrer. Et cette sorte de fonction dont elle était investie pour une fois dans l’année — telles certaines charges du monde antique — de personne qui donnera le lendemain la plus considérable garden party de la saison, lui conférait une autorité momentanée car ses listes étaient faites et closes, de sorte que tout en parcourant les salons de la princesse avec lenteur pour verser successivement dans chaque oreille : « Vous ne m’oublierez pas demain », elle avait la gloire éphémère de détourner les yeux en continuant à sourire, si elle apercevait un laideron à éviter ou quelque hobereau qu’une camaraderie de collège avait fait admettre chez le prince de Guermantes, et duquel la présence à sa garden party n’ajouterait rien. Elle préférait ne pas lui parler pour pouvoir dire ensuite : « J’ai fait mes invitations verbalement, et malheureusement je ne vous ai pas rencontré ». Ainsi elle, simple Saint-Euverte, faisait-elle de ses yeux fureteurs un « tri » dans la composition de la soirée de la princesse. Et elle se croyait, en agissant ainsi, une vraie duchesse de Guermantes.

Il faut dire que celle-ci n’avait pas non plus tant qu’on pourrait croire la liberté de ses bonjours et de ses sourires. Pour une part, sans doute, quand elle ne disait pas bonjour, c’est qu’elle ne le voulait pas : « — Mais elle m’embête, disait-elle, est-ce que je vais être obligée de lui parler de sa soirée pendant une heure ? »

On vit passer une duchesse fort noire, que sa laideur et sa bêtise, et certains écarts de conduite avaient exilée non pas de la société, mais de certaines intimités élégantes. « — Ah ! susurra Mme de Guermantes, avec le coup d’œil exact et désabusé du connaisseur à qui on montre un bijou faux, on reçoit ça ici ! » Sur la seule vue