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JALOUSIE

après-midi même où je l’avais rencontré — en somme quelques heures auparavant — dans le cabinet du duc de Guermantes. Avait-il vraiment eu une scène avec le prince et qui l’avait bouleversé. La supposition n’était pas nécessaire. Les moindres efforts qu’on demande à quelqu’un qui est très malade deviennent vite Four lui un surmenage excessif. Pour peu qu’on l’expose, déjà fatigué, à la chaleur d’une soirée, sa mine se décompose et bleuit comme fait au bout de quelques heures une poire trop mûre, ou du lait près de tourner. De plus, la chevelure de Swann était éclaircie par places, et comme disait Mme de Guermantes, avait besoin du fourreur, avait l’air camphrée et mal camphrée. J’allais traverser le fumoir et aller vers Swann quand malheureusement une main s’abattit sur mon épaule :

« — Bonjour, mon petit, je suis à Paris pour quarante-huit heures. J’ai passé chez toi, on m’a dit que tu étais ici, de sorte que c’est à toi que vaut à ma tante l’honneur de ma présence à sa fête. » C’était Saint-Loup. Je lui dis combien je trouvais la demeure belle. « — Oui, ça fait assez monument historique. Moi je trouve ça assommant. Ne nous mettons pas près de mon oncle Palamède, dit-il, sans cela, nous allons être happés. Comme Mme Molé (car c’est elle qui tient la corde en ce moment) vient de partir, il est tout désemparé. Il paraît que c’était un vrai spectacle, il ne l’a pas quittée d’un pas, il ne l’a laissée que quand il l’a eu mise en voiture. Je n’en veux pas à mon oncle, seulement je trouve drôle que mon conseil de famille, qui s’est toujours montré si sévère pour moi, soit composé précisément des parents qui ont le plus fait la bombe, à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus, qui est mon subrogé tuteur, qui a eu autant de femmes que don Juan et qui à son