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JALOUSIE

bert l’ombre du génie des Guermantes qui passa comme un nuage, mais à une grande hauteur et ne s’arrêta pas). Ça m’a tout l’air d’une affaire merveilleuse. Les parents sont toujours malades et ne peuvent s’occuper d’elle. Dame, la petite se désennuie et je compte sur toi pour lui trouver des distractions, à cette enfant ! » « — Oh ! quand reviendras-tu ? » « — Je ne sais pas, si tu ne tiens pas absolument à des duchesses (le titre de duchesse étant pour l’aristocratie le seul qui désigne un rang particulièrement brillant, comme on dirait dans le peuple, des princesses), dans un autre genre, il y a la première femme de chambra de Mme Putbus. »

À ce moment, Mme de Surgis entra dans le salon de jeu pour chercher ses fils. En l’apercevant M. de Charlus alla à elle avec une amabilité dont la marquise fut d’autant plus agréablement surprise, que c’est une grande froideur qu’elle attendait du baron, lequel s’était posé de tout temps comme le protecteur de sa belle-sœur Oriane et seul de la famille — trop souvent complaisante aux exigences du duc à cause de son héritage et par jalousie à l’égard de la duchesse — tenait impitoyablement à distance les maîtresses de son frère. Aussi Mme de Surgis eût-elle fort bien compris les motifs de l’attitude qu’elle redoutait chez le baron, mais ne soupçonna nullement ceux de l’accueil tout opposé qu’elle reçut de lui. Il lui parla avec admiration du portrait que Jacquet avait fait d’elle autrefois. Cette admiration s’exalta même jusqu’à un enthousiasme qui, s’il était en partie intéressé pour empêcher la marquise de s’éloigner de lui, pour « l’accrocher » comme Robert disait des armées ennemies dont on veut forcer les effectifs à rester engagés sur un certain point, était peut-être aussi sincère. Car si chacun se plaisait à admirer dans les fils de la marquise le port de