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JALOUSIE

reine et les yeux de la mère, le baron pouvait éprouver un plaisir inverse mais aussi vif à retrouver ces charmes réunis en faisceau chez leur mère, comme en un portrait qui n’inspire pas lui-même de désirs, mais nourrit l’admiration esthétique qu’il inspire, de ceux qu’il réveille. Ceux-ci venaient rétrospectivement donner un charme voluptueux au portrait de Jacquet lui-même et en ce moment le baron l’eût volontiers acquis pour étudier en lui la généalogie physiologique des deux jeunes Surgis.

« — Tu vois que je n’exagérais pas, me dit Robert. Regarde un peu l’empressement de mon oncle auprès de Mme de Surgis. Et même là, cela m’étonne. Si Oriane le savait elle serait furieuse. Franchement il y a assez de femmes sans aller juste se précipiter sur celle-là », ajouta-t-il ; comme tous les gens qui ne sont pas amoureux il s’imaginait qu’on choisit la personne qu’on aime, après mille délibérations et d’après des qualités et convenances diverses. Du reste, tout en se trompant sur son oncle qu’il croyait adonné aux femmes, Robert, dans sa rancune, parlait de M. de Charlus avec trop de légèreté. On n’est pas toujours impunément le neveu de quelqu’un. C’est très souvent par son intermédiaire qu’une habitude héréditaire est transmise tôt ou tard. On pourrait faire ainsi toute une galerie de portraits, ayant le titre de la comédie allemande, « oncle et neveu », où l’on verrait l’oncle veillant jalousement, bien qu’involontairement, à ce que son neveu finisse par lui ressembler.

— De quoi parlions-nous ? Ah ! de cette grande blonde, la femme de chambre de Mme Putbus. Elle aime aussi les femmes, mais je pense que cela t’est égal, mais je peux te dire franchement je n’ai jamais vu créature aussi belle. » « — Alors elle doit être assez Giorgione ? » « — Follement Giorgione ! Ah ! si j’avais du temps à passer à Pa-