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JALOUSIE

ris, ce qu’il y a de choses magnifiques à faire. Et puis, on passe à une autre. Car pour l’amour, vois-tu, c’est une bonne blague, j’en suis bien revenu. » Je m’aperçus alors, avec surprise, qu’il n’était pas moins revenu de la littérature, alors que c’était seulement des littérateurs qu’il m’avait paru désabusé à notre dernière rencontre (c’est presque tous fripouille et Cie, m’avait-il dit), ce qui se pouvait expliquer par sa rancune justifiée à l’endroit de certains amis de Rachel. Ils lui avaient en effet persuadé qu’elle n’aurait jamais de talent si elle laissait Robert « homme d’une autre race » prendre de l’influence sur elle, et avec elle se moquaient de lui, devant lui, dans les dîners qu’il leur donnait, mais en réalité l’amour de Robert pour les Lettres n’avait rien de profond, n’émanait pas de sa vraie nature, il n’était qu’un dérivé de son amour pour Rachel, et il s’était effacé avec celui-ci, en même temps que son horreur des gens de plaisir, et son respect religieux pour la vertu des femmes.

« — Comme ces deux jeunes gens ont un air étrange. Regardez cette curieuse passion du jeu, marquise, dit M. de Charlus, en désignant à Mme de Surgis ses deux fils, comme si il ignorait absolument qui ils étaient. Ce doivent être deux orientaux, ils ont certains traits caractéristiques, ce sont peut-être des Turcs, ajouta-t-il à la fois pour confirmer encore sa feinte innocence, témoigner d’une vague antipathie, qui quand elle ferait place ensuite à l’amabilité, prouverait que celle-ci s’adresserait seulement à la qualité de fils de Mme de Surgis, n’ayant commencé que quand le baron avait appris qui ils étaient. Peut-être aussi M. de Charlus, de qui l’insolence innée était un don de nature et qu’il avait joie à exercer, profitait-il de la minute pendant laquelle il était censé ignorer qui était le nom de ces deux jeunes gens pour se divertir aux dépens de Mme de