Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/152

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par volonté de garder toujours des accents féminins, elle était pénétrée d’une indignation qui étonna :

— C’est tout ce que tu trouves à dire, Philomoros ?

— Et quoi de plus ?…

— Il y a de plus qu’on ne devrait pas empoigner, jeter à l’ergastule, fût-ce pour une nuit, sur un simple soupçon, avant jugement, des personnes de notre monde !

On sourit. Nulle maison décente, à Corinthe, n’eût daigné accueillir Cléophon sous son toit. Il le savait et n’en avait souci. Ses mœurs étaient honteuses, ses fréquentations singulières. Pourtant il restait persuadé que ces mœurs et ces fréquentations, il en prenait le droit dans sa fortune et dans sa naissance ; par surcroît, l’ostracisme où il était tenu lui semblant ridicule, il se montrait sensible à toutes les injustices, capable, avec un esprit délicat et subtil, d’élans généreux et spontanés.

— J’estime au contraire, répartit Philomoros, qu’il est bon parfois de faire des exemples notoires, et de frapper haut, si l’on veut frapper utilement.

Et tout à coup s’emportant :

— Maudits soient non seulement les chrétiens, mais tous ces rêveurs barbares de l’Asie et de l’Égypte qui, plus écoutés encore que nos déjà funestes philosophes, sont venus, depuis quatre siècles, empoisonner l’Hellénie et tout l’Empire de cette perfide chimère : la croyance à l’âme immortelle ! Désormais le monde pourra-t-il connaître, je ne dis même pas le bonheur, mais la paix ?… Nous, les hommes d’Hellénie, étions les seuls de l’Univers à ne point avoir peur de nos dieux ! Nous les avions faits à notre image ; ils prenaient part à nos banquets, s’asseyaient à nos tables, couchaient dans le lit