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Page:Les œuvres libres - volume 1, 1921.djvu/153

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de nos femmes — mais nous le leur rendions ! Sur les champs de bataille Olympiens et mortels s’affrontaient d’égal à égal ; le courage de l’homme triomphait souvent de la puissance du dieu, qui fuyait le combat en poussant de grands cris blessés. Sans méchanceté, par bonne humeur et par bon sens, par fierté d’être hommes, par conscience que rien ne doit rester au-dessus de l’homme, nous voulions qu’ils ne fussent rien que nous-mêmes, grandis, immortels, la glorification de nos instincts et des lois de l’univers. Quant à l’âme ?… Nous n’y pouvions voir que ce qu’elle peut être, si elle existe : une ombre vaine, vague, molle, qui traîne un temps son existence misérable et médiocre, puis se dissout à jamais dans les obscurités de l’Hadès. Car, je vous le demande, que peut bien être une âme sans corps, un esprit sans organes ? Ainsi le décidait notre simple et magnifique raison ; c’est ainsi qu’alors on vivait sur cette terre, tranquilles, gais, voluptueux, faisant de belles choses — car la beauté n’est que l’apparence, rendue sensible, de la volupté — et actifs… Actifs ! Créant pour ce monde, dans ce monde qui seul existait à nos yeux.

« Mais voilà qu’ils se sont précipités sur nous, ces rêveurs, ces malades et ces fous des races basses, les peuples de l’Afrique et de l’Asie qui ne vivent que pour les tombeaux ! Tristes, stupides, ils croyaient à la survivance éternelle de cette inanité : une âme sans corps. Ils croyaient en elle, et la redoutaient. Ils voyaient les vivants assiégés, torturés par ces ombres inquiètes, exigeantes, malheureuses — et qui se voulaient venger d’être malheureuses ! Leur premier souci fut de les apaiser. Puis ils songèrent : « Nous aussi, nous deviendrons comme elles ; et c’est cela surtout qui même est à considérer ici-bas : on devient des ombres immortelles, cela seul importe.