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Page:Les Deux Bourgognes, tome 7, 1838.djvu/41

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d’éloquence ! Combien de militaires se sont lancés à corps perdu dans la gloire, qui auraient peut-être reculé devant le péril en habit bourgeois ! J’ai connu des avocats qui balbutiaient dans un salon parce qu’ils n’avaient pas leur robe ; et si nous voyons tant de célébrités du barreau venir échouer à la tribune politique, il n’en faut pas chercher d’autre cause que l’état d’isolement, et, pour ainsi dire, de nudité où ils se sentent, loin de la toge majestueuse qui faisait la moitié de leur succès.

Cornelio connaissait donc bien le cœur de l’homme et la puissance du costume lorsqu’il se mettait une ceinture et un turban pour se livrer à ses opérations magiques. Que le lecteur me pardonne ce retour en arrière ; mais j’ai différé jusqu’à présent ces réflexions pour ne pas interrompre à contre-temps mon récit. J’y ajouterai que la puissance des lieux n’est pas moindre que celle de l’habit ; que si notre alchimiste imposait à l’imagination au milieu de son laboratoire, entouré de ses grimoires, de ses instruments et de ses animaux empaillés ; que s’il avait une certaine gravité pontificale à minuit, au clair de lune, devant le puits solitaire du Dante, peut-être il n’eût paru que le plus débonnaire des suisses à la tête d’une procession, ou qu’un concierge paisible assis dans une loge de portier. En effet, celui qui l’aurait vu le lendemain matin dans l’intérieur de son ménage ne l’aurait guère soupçonné d’avoir passé la nuit à évoquer les puissances surnaturelles, pour commander à la destinée et peut-être compromettre la vie de ses semblables.

C’était le matin du mercredi des Cendres. La vieille Padoue, comme un ivrogne dégrisé, semblait encore plus triste qu’à l’ordinaire, après toutes les réjouissances de la veille. La Specola, elle aussi, se dressait, plus noire et plus humide que de coutume, sous un ciel gris qui versait une fine pluie de printemps, au milieu de laquelle le soleil jetait de temps à autre un rayon pâle et sans chaleur. Cornelio, la tête encore enveloppée d’un bonnet de nuit de coton, achevait un déjeuner frugal